C’est le parcours d’un manager qui essaye une nouvelle approche de management avec l’une de ses équipes de testeurs de logiciels. Plus spécifiquement, c’est la manière dont il réussit à lier amélioration des résultats opérationnels et développement personnel des testeurs.
De cette expérience avec lui, je ressors des pratiques de management innovantes et spécifiques aux équipes de testeurs de logiciels.
Aujourd’hui, je renouvelle cette approche régulièrement avec différents leaders et leurs équipes. Le changement de posture des personnes impliquées est l’un des résultats qui continue de m’impressionner.
Voici comment cela s’est passé.
Nous sommes dans une ESN. L’équipe de testeurs se trouve entre des développeurs et le client : lorsqu’une nouvelle version du logiciel est créée, elle conduit des campagnes de test, puis livre le logiciel au client.
Le manque de compétitivité
En réalité, cette équipe rencontre des difficultés : elle n’arrive pas à finir ses tests dans les délais prévus ; le client continue de trouver des défauts après livraison. Il est mécontent et ne voit pas d’amélioration. Le manager, après observations et réflexion, traduit sa situation en trois préoccupations majeures :
- Trouver des gains de productivité. En effet, les clients continuent de demander des prix plus bas.
- Mieux comprendre la situation des projets de test. Comment expliquer, par exemple que, des équipes en exécutant peu de tests trouvent plus défauts que d’autres ? Le sujet, d’un point de vue pilotage, est de développer une compréhension fine de ces situations à tout moment pour faire les bons choix.
- Redonner du sens, et une nouvelle dynamique aux équipes. Les collaborateurs représentent tout ce qu’il y a de précieux pour l’entreprise. Mais voilà que ces dernières années, la recherche effrénée de performance, les réorganisations intempestives ont fini par nuire à leur esprit d’initiative. Il faut reconnecter les collaborateurs à leur travail.
Aller vers un autre système de management
Face à cette situation, il travaille avec un expert en Lean Management. Celui-ci observe l’activité et les testeurs au travail. Ainsi, il apporte de la visibilité au manager sur les problèmes et leurs hypothèses de cause. Ils s’accordent sur les priorités et font le pari d’essayer une approche de management qui suivrait les principes suivants :
- Accompagner les testeurs sur le terrain, dans leurs activités concrètes. Être avec eux pour comprendre, agir et les faire progresser, ainsi que l’entreprise.
- Restaurer, puis développer un esprit critique des testeurs vis-à-vis de leur propre travail. C’est, par exemple la situation d’un testeur qui réalise que ses tests ne sont pas bons, et qui se réajuste en faisant progresser l’équipe.
- Les accompagner en particulier, pour qu’ils se donnent au jour le jour, des objectifs collectifs et réalistes, dans un cycle d’amélioration.
- Développer de nouveaux savoir-faire, par la validation des objectifs précédents. A partir des progrès qui vont apparaître, il faut identifier et diffuser les nouvelles bonnes manières de faire, qui sont en réalité des savoir-faire.
Ensuite l’expert Lean met en œuvre ce système via une démarche :
- Atelier
Pendant quelques jours, les testeurs observent leurs propres activités et leur organisation avec de nouvelles perspectives. Ils actent l’impératif de changement.
Accompagné de l’expert, ils apprennent des outils du Lean Management pour faire face à différentes situations qu’ils ont observées :
- Ils découvrent la « voix du client » et décident de la collecter régulièrement pour toutes les versions livrées.
- Ils apprennent à voir « les gaspillages » et leurs causes en observant leurs collègues et décident d’actions immédiates pour les réduire.
- Ils comprennent « la gestion de qualité ». Ils observent des défauts signalés par leur client, et en identifient les causes récurrentes.
- Ils acquièrent les bases pour lutter contre les causes de « variabilité » qu’ils ont noté en observant la création et l’exécution des tests.
- L’expert Lean leur apprend aussi à créer et maintenir des « standards de travail ».
- Ils prennent surtout l’habitude d’utiliser une approche structurée de résolution de problème : le PDCA[1].
L’implémentation de ces outils pour les problèmes concrets qu’ils ont observé ensemble pendant l’atelier se traduit par la construction d’un plan d’action d’équipe. Ils présentent ce qu’ils ont découvert et appris à leur manager et s’engagent sur la transformation qu’ils amorcent.
- Implémentation
Le premier point du plan d’action est la construction d’un environnement visuel qui favorise la réflexion et l’amélioration. Il comprend des indicateurs de performance et un management visuel.

Ainsi tout testeur, peut, à tout moment de la journée, savoir si tout va bien ou pas en jetant un coup d’œil sur le management visuel. Celui-ci montre le flux d’évolution des tests à travers les étapes définies par l’équipe.

Cet environnement révèle effectivement des difficultés à faire les tests à temps. Les testeurs, aidés de l’expert Lean, essayent de créer puis de gérer un flux d’exécution des tests selon la date de livraison. Le principe : le nombre de tests à faire pour une date donnée requiert un nombre de tests à faire par jour. Celui-ci exige d’avoir un système de suivi pour réagir au plus tôt dans la journée.

Connaissant l’objectif de la journée (en nombre de tests conçus, écrits, et exécutés), l’équipe utilise ce tableau pour partager sa progression à 11h et à 15h. Elle se donne ainsi l’opportunité de réagir (se réorganiser, changer les priorités, etc) pour une chance d’atteindre l’objectif à 18h.
Pendant cette phase d’implémentation, l’équipe prend l’habitude d’utiliser le PDCA pour résoudre des « problèmes » qu’elle identifie :
- Elle veut réduire le nombre de défauts internes rejetés : ce sont des défauts identifiés par des testeurs, mais qui en réalité n’en sont pas ! l’équipe arrive à les réduire de 44% à 4%.
- Elle tient à éliminer les correctifs livrés au client, mais qui ne sont pas bons du 1er coup. Ce sont des correctifs mal testés. Elle arrive aussi à les réduire, de 23% à 0%.
Le manager est aussi acteur de cette transformation de son équipe. En effet, sous l’impulsion de l’expert Lean et avec son aide, Il rend visite à l’équipe une fois par mois de façon systématique. C’est ainsi qu’il voit et comprend la réalité des activités de test sur le terrain. Il découvre et touche du doigt les difficultés. C’est l’occasion pour les testeurs de discuter de leur travail avec lui tout en partageant leur progression. Le manager en profite pour aligner la réalité du terrain aux objectifs de l’entreprise.
Des résultats à plusieurs niveaux
Au bout de trois mois d’implémentation, la productivité (nombre de tests exécutés par jour et par testeur) a augmenté de 200%. Les défauts reportés par le client, ont diminué de 14%.

Mais au-delà des résultats opérationnels, le manager, initiateur de la démarche est surpris par les transformations au niveau des testeurs : il observe une motivation pour conduire des résolutions de problème, une autonomie plus rapide et plus forte des nouveaux arrivants. De plus les managers direct de l’équipe changent de posture : ils dialoguent avec les testeurs, sur le terrain et avec les indicateurs de performance créés. Ils développent au jour le jour, une connaissance opérationnelle des irritants[2] de l’équipe.
Le Lean Management et les tests de logiciels
Je dis souvent que l’un des rôles du testeur, est de trouver les défauts que le client ne trouvera pas. De mon expérience, à chaque défaut identifié, le testeur devrait s’impliquer, autant que possible, dans la recherche des causes racines. Ainsi, il soutient et accompagne les changements nécessaires pour que ces défauts ne reviennent plus.
Nous assistons à une évolution du rôle de testeur. Conduire des résolutions de problème sur les défauts permet de trouver du sens et de faire évoluer ses compétences. Le testeur se positionne alors pour apporter plus de valeur à l’entreprise. Dans cette évolution, il doit aussi savoir découvrir et comprendre les enjeux clients. C’est ainsi que le testeur devient aussi porteur de l’amélioration continue.
Le Lean Testing
De cette expérience ressortent quelques techniques et pratiques du Lean Management spécifiques au tests logiciels :
- Travailler avec un management visuel. Comme celui présenté plus haut, il est dédié au flux des cas de test. Il est différent ou s’adapte selon que les tests soient manuels ou automatisés.
- Rendre visible et gérer la performance. Des testeurs utilisent, par exemple, des indicateurs comme la satisfaction client, la productivité des tests, mais aussi le nombre de défauts.
- Développer une capacité à trouver encore plus de défauts. En réalité il s’agit d’utiliser une approche structurée de résolution de problème pour adapter au fur et à mesure sa stratégie de test.
- Définir une admissibilité aux tests. Avant de lancer une campagne de tests, que celle-ci soit manuelle ou automatisée, un jeu de tests bien identifiés et exécutés en amont, définissent l’admissibilité aux tests du logiciel à vérifier.
- Développer le savoir-faire des testeurs avec des activités de « Dojo ». Par exemple créer des scripts pour collecter certaines données de test et les rendre anonymes.
- Pratiquer le « andon » pour qu’un test soit toujours bien fait. Pendant les activités de test, tout testeur qui fait face à une difficulté fait immédiatement signe à l’expert technique de l’équipe. Celui-ci vient travailler avec le testeur sur son poste de travail, pour qu’il avance au plus vite. Le testeur a ainsi l’opportunité d’apprendre un geste technique ou fonctionnel. Parfois le « andon » déclenche des activités de « Dojo ».
- Rechercher la cause racine des défauts avec une approche structurée de résolution de problème. C’est le cas du PDCA dont nous parlions tantôt.
Le Lean Testing permet d’améliorer en continue un processus de test de logiciel et son organisation grâce à l’application de certains principes du Lean Management. Il est par conséquent centré sur le développement des testeurs pour qu’ils améliorent eux-mêmes leur travail en visant une satisfaction complète de leurs clients.
Découvrir et en apprendre plus sur le Lean Testing[1] Le PDCA (Plan, Do, Check, Act) suit les étapes de la méthode scientifique. Partant d’un problème formulé comme un écart de performance : « Plan » élabore une hypothèse de cause et une approche de résolution expérimentale ; « Do » mène l’expérience ; « Check » recueille les mesures ; « Act » interprète les résultats et pérennise les actions désormais appropriées pour éradiquer le problème.
[2] Il s’agit de tout ce qui empêche les testeurs d’avancer correctement dans leur travail. Par exemple des données de test non disponibles à temps, des accès serveurs restreints ou encore des défauts de compétence ponctuels.
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